Conte n° 15 : Les fées de la vallée du Hubilan

Publié le par bea.chevalier-moinard.over-blog.com

Conte de Basse-Normandie

Conte n° 15 : Les fées de la vallée du Hubilan

Dans le nord du département de la Manche, on bat le sarrasin sur le champ même où on le récolte, et ces batteries sont toujours des fêtes.

On choisit un beau jour du mois d’octobre. On fait appel aux gens de bonne volonté et le champ est bientôt plein d’hommes, de femmes et d’enfants. Les jeunes garçons et les jeunes filles sont toujours en majorité.

On aplatit un coin de terrain pour en faire une aire résistante ; puis en riant, en folâtrant, on va chercher les javelles qu’on a disposées en cônes pour les faire sécher et on les jette sur l’aire.

Les fléaux frappent en cadence. Les parfums de la plante à demi-sèche, l’air vivifiant de l’automne, la gaieté naturelle à la jeunesse produisent leur effet ; on crie, on chante, on se provoque, les enfants se roulent sur la paille rejetée et jouent à cache-cache dans l’intérieur, jusqu’au moment où on la leur enlève pour y mettre le feu. Comme cette paille rougeâtre est encore humide, la fumée est assez épaisse, mais elle se dissipe dans l’air. On s’en amuse, du reste, et l’on danse alentour.

Quand on est fatigué du travail, on s’assied sur la paille parfumée. On vous apporte alors une galette de froment bien blanche qu’on vient de retirer du four et qui fume encore. On y fait entrer du beurre frais, qui fond à mesure ; on fait circuler les gobelets pleins de cidre appétissant, et les gais propos, les histoires de circuler aussi :

- Comme elle est blanche, votre galette, Marie-Jeanne ! On dirait de la galette de fée.

- C’est moi qui l’ai faite et je vous assure que les fées n’y sont pour rien.

- Vous en avez déjà mangé de la galette de fée ? demanda une jeune fille

- Pas moi, mais ma grand-mère a bien connu une femme qui en avait mangé.

- Et comment les fées lui avaient-elles donné de la galette ?

- Eh bien, autrefois, répondit la vieille femme, on les voyait de loin, laver leur linge dans le ruisseau, la nuit au clair de la lune, et on les entendait chanter et causer entre elles.

- Et le jour, que devenaient-elles ? questionna la jeune fille

- Les fées étaient toutes petites, il y avait des hommes et des femmes parmi elles. Elles travaillaient sur les falaises et vivaient en-dessous dans des grottes. Elles venaient parfois la nuit frapper aux portes. On les entendait crier :

« Prêtez-nous vos timons, vos limons, vos charrues comme ils iront ! »

Il fallait répondre : « Oui, prenez », sinon elles auraient trouvé moyen de vous faire du mal !

continua la conteuse. Quand on avait dit oui, elles allaient prendre la charrue à la charreterie et les chevaux à l’écurie pour labourer leurs champs.

Parfois elles faisaient leurs courses avec nos chevaux, et comme les fées sont des êtres très petits, elles montaient sur le cou et non sur la selle ; se faisaient des étriers de leurs crins qu’on retrouvait singulièrement emmêlés.

- Cela arrive encore, dit un jeune garçon

- Quelquefois, reprit Marie-Jeanne, en entrant le matin dans l’écurie, on voyait les chevaux harassés, mais tout était parfaitement en ordre. Les fées étaient très soigneuses, et si l’objet qu’on leur prêtait était quelque peu gâté, on le retrouvait en bon état.

- Et la galette des fées, vous n’en parlez pas ?

- Attendez !

« Il y avait un jour d’été des gens qui glanaient du lin. C’était une belle journée, les alouettes chantaient, les mériennes* dansaient. A un moment où tout le monde se taisait, on entendit une voix de femme qui criait : « Le four est chaud ! »

- Aurons-nous de la galette ? demanda alors une femme en riant. Mais personne ne lui répondit et on continua à glaner le lin en silence.

Quand vint le moment de se reposer, on s’assit à l’ombre d’un grand chêne et l’on alla chercher dans la haie le pain, le beurre, le cidre qu’on avait mis au frais dans la fougère.

A côté des provisions déposées, on trouva une belle serviette blanche, et dans la serviette une belle galette de pain blanc, toute chaude, du beurre bien frais, sans sel, dans un petit pot, et un couteau pour couper la galette.

C’était la fée à qui on avait demandé de la galette qui avait apporté tout cela.

On se partagea le présent de la fée, on mit du beurre dedans et on se régala bel et bien.

Puis, quand tout fut mangé, on remit soigneusement le pot et le couteau dans la serviette, on reporta le tout dans la fougère, à l’endroit où on l’avait trouvé. Un moment après on retourna voir ; il n’y avait plus rien. »

- Et elle était bonne la galette ?

- Excellente. Celle qui racontait cela disait qu’elle n’en avait jamais mangé de meilleure.

On assure pourtant que les fées étaient méchantes, dit une voix.

- Méchantes, non, répondit la vieille femme, mais elles demandaient des choses raisonnables et si, par mauvaise volonté on refusait de les leur accorder, elles punissaient parfois ces gens peu obligeants.

Il ya au pied de la falaise des fées une fontaine. Un jour, un méchant garçon s’amusa à y déverser des ordures, si bien que l’eau était trouble et puante. Puis il se cacha pour voir la réaction des fées.

La première fée arriva bientôt et poussa un cri de colère. D’autres fées accoururent. Le garçon ne les vit pas mais entendit une voix fine qui disait :

« A celui qui a troublé notre eau, que souhaitez-vous ma sœur ?

- qu’il devienne bègue et ne puisse articuler un mot.

- Et vous ma sœur ?

- Qu’il marche toujours la bouche ouverte et gobe les mouches au passage.

- Et vous ma sœur ?

- Qu’il ne puisse faire un pas sans … tirer un coup de canon ».

Les trois souhaits s’accomplirent, et voilà mon gars qui bégaie, tient toujours sa bouche ouverte et, quand il court, fait entendre un feu de file**

Il alla bien vite retirer les ordures ; il arrangea joliment la fontaine et demanda pardon aux fées. Elles lui pardonnèrent, mais pas tout de suite…

Les fées ne faisaient de mal qu’à ceux qui le voulaient bien et elles rendaient souvent des services.

Un jour, une pauvre femme se désolait de voir son fils mourant. Tout à coup la pierre du foyer se soulève, une main met une petite bouteille sur l’âtre.

« Faites-lui boire cela » dit une voix.

La femme obéit et s’en trouva bien. Huit jours après son fils était sauvé !

- Bonnes gens ! Si nous achevions notre besogne, clama le propriétaire du sarrasin.

Tout le monde se leva, au grand désappointement des enfants que ces histoires intéressaient. On but encore une tournée de cidre et l’on se remit à l’ouvrage

* vieux français pour « méridienne » : ceux qui font la sieste.

** Feu d’une troupe qui tire par file et sans interruption

Publié dans conte du jour

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